Jardins de Claude Monet au fil des saisons
Jardins au fil des saisons
…Le « Jardin d’eau » entouré d’une végétation monochrome mêlant subtilement toutes les nuances de vert. Un saule à gauche, un autre au fond, peu de fleurs en dehors des arceaux défleuris de rosiers. Et sur l’eau verdâtre, les plaques ovales de nymphéas disposés comme les dalles d’un chemin…
Encadrement de saules de Babylone à rameaux dorés, fonds garnis de fougères, de rhododendrons, de kalmia, de houx, bords ombragés de rosiers grimpants (en particulier la Belle Vichyssoise, d’une grande vigueur, qui peut atteindre 7 à 8 m. de hauteur et produit des grappes parfumées de petites roses roses). Sur l’eau, toutes les variétés de nénuphars. Au bord, une foule d’iris. Alentour, des pivoines en arbre dont Monet a reçu des spécimens du Japon au début du siècle et qu’il est parvenu à acclimater à Giverny…
…Au printemps , illusion complétée par une extraordinaire collection de bambous de 7 à 8 m. de hauteurs. Quant au pont japonais qui enjambe un rétrécissement du bassin, il est surmonté d’arceaux couverts de glycine mauve tandis qu’une glycine blanche à longues grappes court au-dessus de l’eau comme une frise délicieuse…
L’année où Truffaut le décrit, le jardin d’eau a plus de 30 ans, et ce que voit le visiteur c’est le résultat d’une longue élaboration d’une simple mare élargie et redessinée à deux reprises avant de parvenir à satisfaire le peintre. « Autant qu’il m’en souvient » répond Monet à Durand-Ruel qui l’interroge sur la date du tableau Bassin des Nymphéas, hiver, il daterait de 1895…
…L’histoire du jardin débute dans le verger que Monet trouve en s’installant à Giverny. Retourner la terre dès son arrivée, semer des graines, planter les premiers bulbes « afin de récolter quelques fleurs pour les mauvais jours », gestes urgents, tout aussi liés à la peinture que la construction d’un hangar pour le bateau-atelier…
…Voici l’allée comme Monet la voyait : bombée, fastueuse, envahie par les capucines. Au-dessus d’elles à mi-hauteur, une zone volumineuse de fleurs bleues. Derrière elles, un taillis de très hautes fleurs à simples pétales, blanches, rouges, jaunes, mauves, roses, rayonnant dans la verdure. Au bout de l’allée, les marches d’un escalier menant au balcon-terrasse abrité d’une charmille…
…Une mince allée part à l’oblique au milieu des fleurs plantées par touffes, en buissons, en amoncellements délicats de taches roses vif, rouges, rouges et blanches. Pigments purs, accents, papillons de couleurs, comme autant d’yeux épars dans l’intense masse des verts… Plus loin, fermant l’horizon, les épicéas de l’allée. Les fleurs les plus remarquables se développent en ligne, derrière ce bariolage de couleur, sur des pyramides métalliques auxquelles s’enroulent des roses saumon. Sous les vieux arbres fruitiers, une forêt de fleurs pourpres et crème treminée par une muraille de fleurs roses, jaillissant capricieusement à d’invraisemblables hauteurs…
…En dressant le catalogue des fleurs de Giverny, Jean-Pierre Hoschedé entend corriger les erreurs communes sur le jardin. Les chroniqueurs se trompent, ignorants ou affabulateurs. Monet n’a jamais cultivé d’amarantes ni de pétunias. Il proscrivait les balsamines, les cinéraires, les oeillets d’Inde et les oeillets de poète, la véronique et les myosotis…
…Contrairement à la légende, il ne faisait pas venir ses plantes du bout du monde, ne cultivait pas d’espèces extravagantes, inconnues dans nos pays… S’il y a surprise et si le jardin fait évènement cela ne tient pas à son exotisme. A sa conception plutôt : c’est l’effet qui compte et le procesus, et ils portent tous les deux la signature du peintre…
…Coloration par masses et par complémentaires, dans un espace qui a la double propriété de paraître infini et de barrer la vue. Quant au processus, il tient du feu d’artifice agencé. Quand un parterre s’éteint, se sont les bordures ou les murs qui s’allument avec se mélange de fougue et d’exactitude qui est l’essence même de la peinture de Monet… Mais où s’arrête la force d’un jardin ? Il évolue d’année en année, toujours plus rempli, plus débridé dans sa recherche impulsive et savante de l’intensité…
… “Il faudrait un MAeterlinck pour décrire un tel jardin qui ne ressemble à aucun autre”, note René Gimpel au retour de sa première visite à Giverny, le 19 août 1918, d’abord parce qu’il est composé de fleurs très simples, puis, qu’elles s’élèvent toutes à des hauteurs inouïes. Je crois qu’aucune ne fleurit au-dessous d’un mètre…
… Certaines fleurs dont les unes sont blanches, les autres jaunes, ressemblent à de colossales marguerites et montent jusqu’à deux mètres. Ce n’est pas un champ mais une forêt vierge de fleurs avec des couleurs toujours franches ; aucune n’est rosée ou bleutée, elles sont rouges, elles sont bleues…
…Très vite en revanche le jardin est plein et s’il ne joue pas le rôle de motif, il se développe ou pâtit parallèlement à la peinture : la pluie, le froid, la tempête, les accidents météorologiques qui mettent le paysagiste en rage provoquent une anxiété seconde, qu’on pourrait dire complémentaire.
Le souci de ses “pauvres fleurs” renforce son exaspération : toiles et plantes ont besoin de soleil, leur développement dépend des mêmes variations. Vu sous cet angle, le rôle du jardin semble moins consolateur, comme dit Jean-Pierre, qu’amplificateur, propre à porter la crise à son point aigu…
… De Belle-Île, Monet recommande ses plantes vivaces : les anémones, mes jolies clématites dans le petit rond, et projette des semis de pavots. Erotisme voilé des fleurs « pour vos corsages », érotisme soudain cru des « plates-bandes » dont il souligne et corrige le second mot d’un pardon significatif.
Janvier 1888 : « s’il survit quelques roses trémières, qu’ on en ait soin ».
Monet est à Antibes, étourdi de rencontrer des roses « à tous les pas »et de rapporter d’une promenade des brassées de mimosas dont les branches sont plus hautes que lui…
…Un jardin pourtant extraordinaire et que Mirbeau a décrit deux ans plus tôt dans l’Art dans les deux mondes en présentant le domaine de son ami au fil des saisons. « C’est le printemps. Les ravenelles achèvent d’exhaler leurs derniers arômes ; les pivoines, les divines pivoines sont fanées ; mortes sont les hyacinthes…
…Déjà les capucines et les escholtzias montrent, celles-ci, leur jeune verdure de bronze, celles-là, leurs feuilles linéaires d’un vert acide et délicieux ; et, dans les larges plates-bandes qu’ils bordent sur des fonds de vergers en fleurs, les iris dressent leurs pétales recurvés, étranges, fanfreluchés de blanc, de mauve, de lilas, de jaune et de bleu…
…Dites-moi semez-vous vos pavots à l’automne comme le recommande Vilmorin ? Avez-vous le pavot pavoninum et le umbrosum ? Y a-t-il des amaryllis rustiques et qui peuvent passer l’hiver en pleine terre ? Je viens de voir dans un catalogue japonais qu’il y avait des lys noirs…Hé hé ! Il faudra nous payer cela. Je suis très content que vous ameniez Caillebotte. Nous causerons jardinage, comme vous dites, car pour l’art et la littérature, c’est de la blague. Il n’y a que la terre. Moi, j’en arrive à trouver une motte de terre admirable et je reste des heures entières en contemplation devant elle…
…Posé là comme un jouet en 1893, comme l’accessoire d’un décor japonisant, le pont porte à sa façon l’aventure finale de Monet. C’est aussi par lui, sur cette courbe et sous elle, qu’il s’avance dans le vingtième siècle. Mais c’st ici la face sombre de son oeuvre, la moins connue, la moins aimée, tant elle s’écarte de ces images radieuses qui, de Sainte-Adresse à la Hollande et d’Argenteuil aux Nymphéas ont constitué le catalogue d’une peinture heureuse ou sereine, d’un travail tout entier vibrant d’un bonheur sans fièvre, comme dit malencontreusement Georges Bataille. Travail de drame en réalité, travail d’éclipse et de deuil ici, mais dans ce langage muet qui est propre à Monet et qui se manisfeste par une végétation dont on n’a voulu voir que le charme, non la violence…
Illustration Photos © Jean-Michel PEERS
Photos
© Philippe Chauveau (→)
Textes extraits de :
Claude Monet une vie dans le paysage © Marianne ALPHANT